mardi 29 novembre 2011

SURRÉALISME de Fictions. Art contemporain 1.


Surréalisme pas mort. Avida.
Pour aborder une petite histoire de l’art du XXè siècle par le filtre du cinéma de fiction, et en dehors des biopics, un retour sur les débuts.
Les artistes des avant-gardes cubistes futuristes et constructivisme interviennent  dans la conception des décors, Alexandra Exter pour Aelita, (Protozanov 1927), dans une fiction mixte : fantastique et réalisme soviétique. Pour L’inhumaine, (L’Herbier 1924), Fernand Léger élabore la machine, à l’image de ses constructions en peinture et en lien direct avec son Ballet mécanique. La collaboration peintres / chorégraphes est célèbre.
Les dadaïstes élaborent le scénario, tournent et inventent des procédés de  montage non  narratif/linéaire avec la présence d’artistes dans la distribution (Man Ray, Le retour à la raison et Entracte, René Clair et Picabia, 1924). Le muet et la musique leur conviennent.
Le cubisme n’a pas eu l’heur d’inspirer les cinéastes de fictions grand public, (trop tôt, trop court), à l’exception de Rigardin peintre cubiste, 1910 (pas vu) un burlesque de série. Les artistes des avant-gardes ne correspondent pas aux critères du romantisme névrotique d’une romance tragique ; la nature morte ne fait fantasmer que sanglante. Une figuration explicite, même déformée est nécessaire pour ironiser sur la « non-ressemblance » d’avec le modèle, éventuellement inutile.
Ainsi la sculpture d’une des maîtresses d’Hemingway (Les neiges du Kilimandjaro, Henry King, 52) vaguement Zadkine, n’échappe pas au poncif.






Les comédies et les drames du cinéma d’avant-guerre utilisent des oeuvres assez rétro voire ringardes ;  au mieux, la figuration  s’inspirerait d’une supposée étiquette École de Paris.

Sérénade à trois



 Les mansardes ont la  vie dure, y compris dans le cinéma américain, comme celle de Gary Cooper -craquant- dans Sérénade à trois, Lubitsch, 1933. Le titre Design for living fait la part belle à la femme, beaux décors modernes à New York, et c’est la première apparition d’une forme d’art féministe (on y reviendra).


Pour le Surréalisme, L’age d’or, (Bunuel, 1930) reste LA référence (même W. Allen le cite).
L’extrême longévité du mouvement international et son rôle dans l’art américain de la fin des  années trente et quarante expliquent son impact, de même que la congruence entre les procédés de montage, les plans en profondeur, le zoom et les thèmes du récit avec les sujets et formes de la peinture. La contemporaneïté du surréalisme et de la psychanalyse inspire ls scénaristes.
La notoriété de ses « stars » en permet l’identification immédiate, en dépit de styles différents. Dali, Chirico, Magritte, Delvaux.
 L’oncle  peintre « zinzin » de Charmante famille, (Danger love at work, Preminger, 1937), est concurrencé par Elsa Lanchester, peintre S convoquée pour le portrait robot  du suspect dans The big clock, Farrow, 1938, un superbe polar. « C’est son portrait psychologique », dit-elle en présentant le croquis d’une sculpture entre Picasso Miro et Hepworth.

Spellbound















Le toit du paysage enneigé sur lequel dévale une roue molle (Yves Tanguy ?)
-ainsi que le malheureux héros- condense les effets perspectivistes que les surréalistes ont réinventés au profit du temps et de l’ « étrangeté » programmatique. 






Pandora ( Pandora and the flying dutchman, Albert Lewin,1951). Le réalisateur revendique son essence surréaliste : Récit dans le récit de l’errance du navigateur peintre à la recherche de la femme aimée et perdue visible dans le petit portrait XVIIè d’origine. 




Quand Pandora -Ava Gardner, ruisselante dans une voile, apparaît dans le bateau, Hendrick van der See/James Mason peint une femme drapée, façon Delvaux, dans un espace type de la peinture de de Chirico, lignes de fuite et architectures. Un débat sur la ressemblance le conduit à transformer le visage de Pandora en « oeuf » barré : un vrai-faux Chirico.






 Les statues antiques de déesses sorties de l’eau dans la séquence précédente anticipaient sur la mythologie. L’intemporalité perspective de l’artiste italien vaut ici pour une allégorie de l’éternité promise aux amants. 

On peut trouver des pseudos Chirico/Magritte au mur dans quelques films, policiers de préférence et sans interêt.  En revanche la démultiplication des hommes au chapeau melon dans Thomas Crown,  (Mc Tiernan, 1999) fonctionne astucieusement comme une performance piège. Ceci n’est pas un Monet, ni un Pissarro, ni...
Magritte est cité récemment comme une référence pour un devenir-peintre célèbre pour le non moins célèbre prisonnier Bronson (N. Winding Refn, 2008) lors des séances d’atelier en prison. La superbe animation (post Crumb) qui suit n’a pas plus de rapport avec le surréalisme que la transformation en sculpture vivante du prof par Bronson, adepte de l’incarcération comme posture artistique. Et l’on retrouve le lien entre peinture et délire paranoïaque…

Surréalisme authentique en revanche : dans  L’insoutenable légèreté de l’être, Ph. Kaufmann, 1980, le scénario tiré du roman de Milan Kundera se situe à Prague en 1968. Les oeuvres de l’atelier de Sabina/Lena Olin sont empruntées à Irina Dedicova, 1932-1990, 




Les toiles  -des sortes d’idoles biomorphiques  élémentaires, un « oeuf cosmique », enchâssé dans les éléments organiques fortement érotisés - datent des années 70.





 Un choix du cinéaste pour situer le contexte et renforcer la personnalité de l’héroïne. 






Plus tard, en Suisse, Sabina compose des miroirs brisés (Pucci Di Rossi, un désigner contemporain).




 Quand Tereza/Juliette Binoche tente de survivre comme photographe, des clichés de Man Ray (et de Bill Brandt) lui sont donnés comme exemples. Les références authentifient l’histoire et illustrent ce que le roman ne décrit pas. L’exposition montée en 2010 à La Galerie Yvon Lambert, sous le même titre procède d’une toute autre méthode, la recherche des thèmes et œuvres en correspondance (dans ses collections) hors du récit‘.

Surréalisme Belge :
Alors que les films d’André Delvaux ne sont que peu marqués par les images de son père, pas de femmes nues dans des architectures, le cinéma belge très récent se réapproprie le courant S dans un total anachronisme.
 Le binôme de cinéastes Delépine et Kervern, auteurs de sortes de road movies déjantés (Aaltra) intègrent des artistes ou des oeuvres dans leurs scénarios.
Dans Mammuth, 2010, Miss Ming, artiste (actrice déclarée « autiste » dans le civil), revendique entre deux crises de délire les oeuvres de son père, des assemblages trash de poupées déglinguées et déchets organiques (après Spoerri ou Kudo) Leur auteur, très « groslandais » : Lucas Braastad.

Dans Avida, 2006, les deux réalisateurs, acteurs ici aussi ont construit un film à clés, dans une surenchère d’absurde apparent. Toutes les séquences, à commencer par le suicide de Topor en torero contre un rhinocéros,



le vol de la montre, du poisson, du homard, l’enlèvement de la milliardaire obèse qui sera traînée au sommet d’un terril puis au pied d’une falaise


concourent à la composition d’une toile de Dali, ou du moins un faux efficace, d’où le titre Avida (Dollars). Peinture qui ne sera révélée qu’à la dernière image (la seule en couleur), un procédé connu,



une toile non visible au début du film que le collectionneur incarné par Jean Claude Carrière contemplait avant de mourir ; il possède aussi Les girafes en feu. Le gros plan de la bouche de la femme au pré-générique est le premier indice des références (et je ne crois pas avoir tout décodé). Le muet (un personnage incarné par l’un des cinéastes) est un autre indice dans un film peu bavard.
L’incohérence n’est qu’apparente, le cadavre du chien hérissé des seringues que les deux cinglés masochistes utilisent pour se droguer,



les familles dans les armoires, finalement tous les éléments trouvent un sens dans le parcours d’une relecture d’un surréalisme mort depuis longtemps, mais non sans rendre hommage aux courses-poursuites de ses inventeurs.

Si Topor, joue son propre rôle (pour mémoire, Le Locataire de Polanski est une adaptation de son roman) il n’est pas inutile de citer le mouvement Panique, auquel il appartenait  avec Arrabal, (J’irai comme un cheval fou, 1973) dans les années 50. Une autre dérivation du surréalisme est donc le modèle latino-américain  post  Bunuel, incarné par le cinéma d ‘Alejandro Jodorowsky, membre du même groupe et auteur des films comme El Topo (1971) ou La montagne sacrée, (1973) : une quête initiatique sanglante et coprophile dans laquelle l’artiste démiurge occupe le moment ultime.





jeudi 10 novembre 2011

MUSEES et Galeries dans le cinéma de fiction


Cadres à Risques

 Hors de mon propos qui est d’analyser les films qui comportent des artistes au travail, un détour s’impose sur le contexte muséal de plus en plus rentable pour une consommation grand public (au grand désespoir des professionnels qui ne trouvent plus de créneau pour voir les oeuvres de leur choix). Entre les foules égarées à la recherche de La Joconde (qui vient de sortir de son cadre (L’apparition de La Joconde, F. Lunel, 2011) et depuis peu, bousculés par les poussettes d’enfants (un signe de la volonté d’éduquer au plus tôt les chères têtes blondes, mais quand elles galopent, c’est pire) on râle. L’autre jour, pour l’anecdote, une rangée de mômes de six à huit ans, bien encadrés, ont vu - en silence- le film de Werner Herzog, La grotte des rêves perdus. Occasion unique de voir des bisons ou des rhinocéros autrement qu’en dessins animés. Dont acte, la préhistoire n’est pas au programme du CP, et mon petit-fils, même âge, redemande le Quai Branly ou Le Plateau, ou Beaubourg. Le problème, c’est toujours l’autre ; soyons sympa, dirait Gondry, rembobinons :

La nuit au musée 2
Comme les oeuvres, dont la cote emplit les journaux, le musée fait recette. Les galeries aussi, avec l’argent des riches. La visite est gratuite -sauf à la Fiac. Quantitativement leur place dans le cinéma de fiction progresse, en fonction de la médiatisation -éviter la journée du patrimoine. Quand les documentaires deviennent de plus en plus pointus, entre le musée et le parc d’attractions la frontière s’amincit.

Les musées de cire furent les hauts lieux du fantastique et de l’horreur du cinéma des années trente (The Mystery of the Wax Museum, Michael Curtiz, 1933) ; les reprises ou remakes d’après guerre, de House of wax, De Toth, 1953 à Stivaletti, Le masque de cire, 1997, ont eu leur temps. La figure obligée du « sculpteur fou », à la recherche d’une ressemblance parfaite a été rattrapée par les artistes normaux qui travaillent sur les corps éventuellement plastinisés ;  l’hyperréalisme a introduit nos doubles dans les musées d’art (John De Andrea, Duane Hanson, dans les années 70),  la question de la mimesis est alors réglée. Les animations et les images de synthèse ont ensuite permis au cinéma de reconstruire des musées, avec ou sans studio, les musées autorisant aussi leurs espaces pour les tournages. (lire les génériques de fin).  
Ainsi dans les biopics, les musées ont d’abord autorisé le filmage des œuvres, puis leurs murs : Bacon fait son entrée de son vivant au Grand Palais (unique image hors studio),



 Klimt bénéficie de sa rétrospective. Mais en général la fiction d’artiste se joue hors musée. Les espaces sont depuis devenus des décors.
Dans les musées et les galeries, les oeuvres, à valeur symbolique ou marchande, fascination et concupiscence justifient le vol et le meurtre, car majoritairement ce sont les polars qui ont mis en scène l’exposition de l’art. Après La femme au portrait de Fritz Lang, 1944, et depuis la contemplation fascinée de Madeleine pour le portrait de Carlotta dans Vertigo de Hitchcock (1958),


 et sa référence directe par  Brian De Palma dans Dressed to Kill, (Pulsions,1981), l’image du double induit pour le moins le trouble (un autre héros de De Palma dans Obsession, 76,  voit dans la restauratrice de peinture la réincarnation de sa défunte épouse).

Le passage dans une salle d’exposition expose le regardeur à tous les risques. La vision onirique du jeune peintre qui pénètre dans le temps de Van Gogh  (Rêves de Kurosawa, magique dans Ferris Buhler- sans intérêt par ailleurs) est plus terrifiante dans le cinéma de Dario Argento. Le syndrome de Stendhal, 1996, tourné au Musée des Offices, puis à Rome, offre tous les possibles de l’absorption dans la peinture et de la désintégration du sujet.



Chez Argento, l’oeuvre tue : (L’oiseau au plumage de cristal,1969) une peinture naïve est le déclencheur de la folie meurtrière de la galeriste. L’écrivain américain échappe de peu à la perforation du genre Vierge de Nuremberg par une sculpture de la « transavantgardia ».



Et le héros du roman Trois carrés rouges sur fond noir, T.Benaquista, 1990, est mutilé par une sculpture dont la description collerait à un Arman.
Le vol du tableau concurrence le vol de bijoux, question de valeur refuge, pas plus facile à écouler. La copie et le faux, stratégies ordinaires du polar, volent au secours de la concupiscence du collectionneur, prêt à tout. Dans les variantes humoristiques magrittienne ( Thomas Crown, Mc Tiernan 1999) ou lamentable ( Pour l’amour de l’art, Bennett, 1996) le collectionneur double son cabinet secret par des faux qui offrent les mêmes « icônes » de l’art. Matisse, Monet et les autres.
Le vrai artiste devenu faussaire est soit l’objet de vrais polars artistiques (F for Fake, O.Welles, 1975) soit un « second couteau » de nombreuses histoires de truands.

L’enquête sur l’oeuvre, de manière souvent sérieuse, cherche une énigme (Ce que mes yeux ont vu, sur Watteau) ou le plus souvent un crime 



(il est amusant de rapprocher Argento -pénétrer La ronde de nuit amène l’héroïne sur une scène de crime- de Greenaway qui trouve dans le même tableau de Rembrandt les preuves d’un crime politique en préparation.

L’oeuvre dans le musée figure comme indice dans les thrillers (Da Vinci Code), on s’étonne d’y voir figurer le Louvre, qui depuis peu devient un cadre pour l’action. Il en est de même pour le MET, le MOMA, ou le Museum d’Histoire Naturelle. Quant aux galeries, leur logique économique reste normale. La galerie new-yorkaise de L’affaire Chelsea Deardon  (Reitman, 90) permet de transformer un M.Oppenheim en matraque ou un Giacometti en échelle de pompier. Autre mince frontière entre le film d’action et le burlesque.

Classements et méthodes :
À chaque système muséographique, son genre cinématographique:
Quand les classements chronologiques et thématiques, par écoles et par auteur, qu’exige l’histoire de l’art en France et en Italie, les films  « sérieux » voire à la limite de l’ésotérisme construisent une fiction cohérente : depuis L’hypothèse du tableau volé (R Ruiz, 1978) ou Ce que mes yeux ont vu, (L de Bartillat, 2007) une méthode analytique au service de l’énigme.
Dans Visage, Tsai Ming-Liang, 2009, l’élaboration d’une fiction sur le mythe de Salomé se termine par l’extraction de Jean-Pierre Léaud costumé en Hérode dans la plinthe d’une supposée salle du Louvre (qui commandita le film) sous les Leonard de Vinci...

Visage


Musée haut, Musée Bas de Jean-Michel Ribes, 2008, tourné dans les différents musées parisiens, construit un film de genre sociologico-burlesque. Le classement historique des courants fait l’objet des recherches obstinées ou confuses de visiteurs profanes ( en cela le film est plus cruel que son auteur ne veut bien l’avouer). Les mises en scène de parodies de l’art contemporain sont en revanche une délectation pour les amateurs.
Les tableaux vivants, la double déposition de croix dans les réserves, ou la dénonciation des pillages des arts premiers complètent le panorama critique du système marchand.






Burlesque multigenre, La nuit au Musée (je n’ai vu que le 2) illustre la polyfonctionnalité et l’hétérogénéité des collections des musées américains, ici le Smithsonian à Washington: la réincarnation simultanée, d’échelles différentes, des héros et des oeuvres de tous ages, de néanderthal à nos jours, avec une préférence pour le pharaon de service offre un mélange de genres que les animations 3D rendent fort cocasses. Ainsi le couple des héros croise, entre autres, la Danseuse de Degas qui danse, un Penseur de Rodin qui pense peu, un Balloon Dog de Jeff Koons en cavale,
pénètrent une photographie de Berenice Abbott et engagent une partie avec le couple American Gothic de Grant Wood, sous l’oeil pleurant d’un Lichtenstein :





tous les « must » de l’art américain sont présents et Lincoln aidé par Roosevelt sauvera le monde du chaos..
Dans ces deux derniers films, la politique n’est pas absente. La domination de l’économie non plus. On se pose la question, quel est le contrat et quel est l’enjeu financier du deal entre le musée et l’industrie cinématographique ?